Cass. 1ère civ. 14 déc. 2022, n° 21-21222

Une transaction sur l’indemnité d’éviction comportant renonciation à recours ne permet plus au locataire de demander une somme supérieure à un tiers

Une société bailleresse a consenti un bail commercial à la société preneuse. Des travaux de démolition et reconstruction de l’immeuble loué étant envisagés par la bailleresse, les deux sociétés ont entamé des négociations et la société preneuse a sollicité l’assistance d’un avocat.

A la suite d’un différend, les deux sociétés ont conclu une transaction prévoyant notamment la résolution du bail, le paiement d’une indemnité contractuelle par la société bailleresse à la société preneuse et leur renonciation à tout recours et action entre elles.

Invoquant des fautes de son avocat dans la négociation de celle accord et la perte de chance de percevoir une indemnité plus élevée, la société preneuse l’a assigné en responsabilité et indemnisation. L’avocat a opposé l’irrecevabilité de ses demandes en raison de la transaction.

La Cour d’appel a déclaré les demandes de la société preneuse irrecevables. Elle s’est alors pourvue en cassation.

Réponse de la Cour de cassation :

Après avoir énoncé, à bon droit, que, si, en vertu de l’effet relatif des contrats, les tiers ne peuvent se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ils peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que celle-ci renferme, la cour d’appel a retenu qu’en contrepartie du versement de l’indemnité forfaitaire, la société preneuse avait déclaré que son montant couvrait son entier préjudice du fait de la résiliation du bail commercial et avait renoncé à tout recours contre son bailleur.

Sans dénaturer les conclusions des parties et la transaction, ni modifier l’objet du litige, elle n’a pu qu’en déduire que la société preneuse, s’étant estimée remplie de ses droits envers la société bailleresse, n’était plus recevable à agir contre ses avocats en indemnisation d’une perte de chance de percevoir une indemnisation plus favorable du préjudice consécutif à la rupture du bail.

NOTE : Le principe posé par la Cour de cassation a déjà été rappelé à de nombreuses reprises, sous des formes quasi-identiques : « si la transaction faite par l’un des intéressés ne lie point les autres parties et ne peut être opposée par eux, ceux-ci peuvent néanmoins se prévaloir de la renonciation à un droit que cette transaction renferme » (Cass. 1ère civ. 3 mars 2011, n°10-10.728 ; Cass. 1ère civ. 25 février 2003, n°01-00.890 ; Cass. 1ère civ. 22 février 2017, n°16-10.925 ; Cass. soc. 20 novembre 2013, n°10-28.582 ; Cass. soc. 14 mai 2008, n°07-40.946 à 07-41.061).

Souvent confondu, l’acte transactionnel et l’acte de renonciation ne sont pas régis par les mêmes règles de droit. La transaction est « l’acte par lequel les parties à un litige y mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques » (Vocabulaire Juridique G. Cornu, Ed. Puf, 7ème éd. p.912). La renonciation est « l’acte de disposition par lequel une personne, abandonnant volontairement un droit déjà né dans son patrimoine, éteint ce droit ou s’interdit de faire valoir un moyen de défense ou d’action » (Vocabulaire Juridique G. Cornu, Ed. Puf, 7ème éd. p.786).

Ainsi un acte unilatéral de renonciation (à un droit, une action ou un recours) peut se retrouver dans un acte synallagmatique transactionnel. La renonciation est une concession d’une partie en contrepartie de l’obligation de l’autre, dans le cadre d’une transaction plus globale. Si la transaction est régie par l’effet relatif des contrats, la renonciation, en tant qu’acte de disposition, est opposable à tous et par tous (au même titre qu’un acte de vente). L’effet erga omnes de la renonciation ne s’efface pas par rapport à celui de l’effet relatif des contrats ; leurs effets se combinent.

Dans la présente affaire, un locataire avait déclaré dans le cadre d’une transaction que l’indemnité forfaitaire couvrait l’intégralité de son préjudice, et qu’en contrepartie du paiement de cette indemnité, il renonçait à tous recours et action contre le bailleur. La Cour d’appel en a déduit que la société preneuse s’était estimée remplie dans ses droits et qu’elle n’était plus recevable à réclamer à un tiers, en l’occurrence son avocat, une indemnité supérieure.

Les praticiens prendront donc soin de bien rédiger les clauses de renonciation contenues dans une transaction. Afin de préserver les droits de leur client, leur renonciation devra être la plus limitée possible, en précisant expressément son périmètre et qu’elle ne concerne que les parties à l’accord, sans jouer en faveur des tiers.

Par Maître Rémy CONSEIL, Avocat au Barreau de PARIS, Associé, BARBIER ASSOCIES.

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