Cass. 3e civ. 25 janv. 2023, n° 21-20009

Le mémoire n’interrompt pas la prescription en cas de saisine du Tribunal judiciaire fixant le loyer, dans le cadre d’une demande accessoire

La société Uni-Commerces, propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à la société H & M, lui a délivré un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

Le 30 mars 2016, la bailleresse a notifié un mémoire à la locataire, puis l’a assignée, le 14 mars 2018, devant le tribunal de grande instance en validation du congé et, accessoirement, en fixation du loyer.

La bailleresse fait grief à la Cour d’appel de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites et se pourvoit en cassation.

Réponse de la Cour de cassation :

L’énumération des articles 2240, 2241 et 2244 du code civil des causes de droit commun d’interruption du délai de prescription étant limitative, le mémoire préalable, qui ne constitue pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, n’est une cause interruptive de la prescription qu’en vertu de l’article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, selon lequel la notification du mémoire institué par l’article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription.

Selon l’article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace, qui statue sur mémoire, et les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes susmentionnées.

Il en résulte que le mémoire préalable n’est institué que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux de sorte que sa notification n’interrompt la prescription que lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée devant ce juge.

La cour d’appel a d’abord exactement énoncé que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d’une demande en fixation du prix du bail renouvelé est la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux, que le mémoire préalable n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, et que sa notification n’interrompt la prescription que lorsque la contestation est portée devant le juge des loyers commerciaux.

Ensuite, elle a justement retenu que la notification du mémoire par la bailleresse à la locataire n’avait pas interrompu le délai de prescription dès lors qu’elle n’avait pas été suivie d’une saisine du juge des loyers commerciaux.

Enfin, ayant constaté que l’assignation devant le tribunal de grande instance avait été délivrée plus de deux années après la date d’effet du renouvellement du bail, elle en a exactement déduit que la demande en fixation du prix du bail renouvelé était prescrite.

NOTE : L’article 2241 du Code civil dispose que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ».

Précédemment, la Cour de cassation avait considéré que la notification d’un mémoire avait interrompu le délai de prescription, en visant uniquement l’article 2241 du Code civil (et pas l’article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953). Cet arrêt laissait penser qu’un mémoire préalable pourrait être considéré comme une demande en justice au sens de l’article 2241 code civil (Cass. 3ème civ. 24 janvier 2019, n°17-27.106, Gaz. Pal. 2019, p.1241, note R. Conseil).

En effet, puisqu’en application de l’article R.145-27 du Code de commerce, « la partie la plus diligente remet au greffe son mémoire aux fins de fixation de la date de l’audience », l’on pourrait considérer que le mémoire préalable est une demande en justice, étant donné qu’il sert à demander au greffe de la Juridiction des loyers la fixation d’une date d’audience.

De plus, l’article R.145-28 du Code de commerce précise que l’assignation devant le Juge des loyers n’a pas à reproduire ou à contenir les éléments développés dans le mémoire préalable. En pratique l’assignation devant le Juge des loyers ne fait que rappeler le mémoire préalable aux conclusions duquel il convient de faire droit. La demande en justice découle donc du mémoire préalable.

De là à qualifier le mémoire préalable de demande en justice, il n’y avait qu’un pas que la Cour de cassation n’a pas franchi. Dans la présente affaire, elle juge que le mémoire préalable ne constitue par une demande en justice au sens de l’article 2241 c. civ.

Il est vrai que l’article R.145-27 C. civ. rappelle que « le juge (des loyers) ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi », ce qui implique que le mémoire préalable, en lui-même, ne saisit pas la juridiction des loyers. Seule l’assignation saisit le Juge des loyers de la demande en fixation du loyer.

Mais indépendamment de la qualification du mémoire et des règles générales du Code civil, l’article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 précise que le mémoire interrompt la prescription, c’est bien la preuve que le mémoire préalable ne peut bénéficier des dispositions de l’article 2241 c. civ.

En l’espèce, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de fixation du loyer, les parties ont le choix soit de saisir le Juge des loyers commerciaux, soit le tribunal judiciaire, à titre accessoire, dans le cadre d’autres demandes portant sur le bail commercial. Il avait déjà été jugé que lorsque le Tribunal Judiciaire est saisi d’une demande en fixation du loyer à titre accessoire, il convenait de suivre la procédure de droit commun, et non la procédure sur mémoire (Cass. 3ème civ. 23 mai 2013, n°12-14.009).

Dans la présente affaire, la Cour de cassation reste dans la logique de sa précédente décision.
A partir du moment où une demande en fixation de loyer est portée, à titre accessoire, devant le Tribunal Judicaire, et que dans cette procédure, il n’y a pas lieu de notifier de mémoire, celui-ci ne peut produire aucun effet et ne peut donc interrompre le délai de prescription.

Le mémoire préalable serait ainsi dans une superposition d’états, sans que l’on puisse connaître ses effets avant que l’assignation soit délivrée. Si l’assignation est délivrée devant le juge des loyers commerciaux, le mémoire aura un effet interruptif de prescription. Mais si l’assignation est délivrée devant le tribunal judiciaire, alors le mémoire n’aura pas eu d’effet interruptif de prescription.

La détermination rétroactive de ses effets risques de susciter des difficultés. Que se passera-il si, prescrit devant le tribunal judiciaire, le demandeur saisit le juge des loyers dans les deux ans de la notification de son mémoire ? Sera-t-il prescrit d’un côté et non de l’autre ?

Par Maître Rémy CONSEIL, Avocat au Barreau de PARIS, Associé, BARBIER ASSOCIES.

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