Cass. 7 décembre 2010 – Une location-gérance peut cacher une sous-location

RÉSUMÉ.

A la suite d’un congé avec offre de renouvellement du bail, la société bailleresse, ayant constaté que la preneuse n’était pas immatriculée au registre du commerce, lui a dénié tout droit au renouvellement. La preneuse a soutenu qu’elle était dispensée d’immatriculation, le fonds exploité dans les lieux ayant été donné en location-gérance. Cassation de l’arrêt qui rejette les demandes de la société bailleresse tendant à la requalification de la location-gérance en sous-bail et à l’expulsion de la preneuse, alors qu’en absence de clientèle il n’y a pas de fonds de commerce.

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER.

Pour bénéficier de la réglementation protectrice des baux commerciaux, le locataire doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés (1). Toutefois, l’article L.145-1 du Code de commerce précise que, si le fonds est exploité sous forme de location-gérance, le propriétaire du fonds de commerce, locataire des murs, bénéficie du statut des baux commerciaux, sans condition d’immatriculation. Dans l’affaire commentée, la locataire, qui avait pris la suite de son père décédé, s’était vue dénier le droit au renouvellement de son bail commercial à défaut d’immatriculation au registre du commerce.

Elle faisait valoir que le fonds de commerce avait été donné en location-gérance à une tierce société. Les juges du fonds avaient retenu sa thèse et avaient débouté la société propriétaire de sa demande d’expulsion. Ils avaient relevé que le bail commercial permettait l’exercice de tout commerce et qu’il importait peut qu’il n’y ait pas eu de clientèle spécifique attachée au fonds de commerce ; que d’autre part le locataire-gérant pouvait changer d’enseigne ou de nom commercial en raison de la nouvelle affectation qu’il donnait au local, sans que cela remette en cause la qualification du contrat de location-gérance. La cassation intervient sur ce point : s’il n’y avait pas de clientèle attachée à l’ancien fonds de commerce, il n’y avait pas de fonds de commerce à mettre en location-gérance.

Le contrat devait donc être requalifié en sous-location. La location-gérance est un bail de fonds de commerce. Le bail commercial est un bail d’immeuble. L’objet du contrat permet donc de le qualifier. “Le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel, non à un immeuble bâti” (2).r La location-gérance, régie par les articles L.144-1 et suivants du Code de commerce est un contrat qui porte sur le fonds de commerce.

Le bail commercial, régi par les articles L145-1 et suivants du Code de commerce porte sur les murs. L’ambigüité vient fréquemment de ce que le locataire-gérant, qui exploite le fonds de commerce, prend possession des murs. La mise en location gérance ne comporte-t-elle pas nécessairement une sous-location ? En réalité, le local, en tant qu’objet du contrat, est une source de confusion (I). Le seul critère qui permet de distinguer les deux contrats est la clientèle (II).

– LE LOCAL, ÉLÉMENT COMMUN

Que l’exploitant soit locataire-gérant ou sous-locataire, il occupe les lieux dans les deux cas. La jouissance du local n’est donc pas un critère distinctif. Un arrêt ancien avait pu laisser entendre qu’une location-gérance pouvait constituer partiellement une sous-location, notamment parce que le locataire-gérant réglait directement au propriétaire des murs le montant du loyer (3), mais cette décision critiquée n’a pas eu de suite. Il est bien admis, aujourd’hui, qu’une mise en location-gérance ne constitue pas une sous-location (4). En cas de location-gérance, “la jouissance des locaux n’est que la conséquence accessoire et nécessaire de la location-gérance”. Il ne s’agit donc pas d’une sous-location interdite (5). Le fonds de commerce inclut le droit au bail. La concession du fonds de commerce inclut donc celle du droit au bail. Cependant, le droit au bail n’est pas concédé de façon autonome, mais seulement en tant qu’élément indissociable du fonds de commerce.

Le contrat de bail commercial porte sur un local seul ; le contrat de location-gérance porte sur un local partie d’un tout. Or, l’élément principal de cette entité est la clientèle.

II – LA CLIENTÈLE, ÉLÉMENT DISTINCTIF .

La Cour de cassation rappelle que la clientèle constitue l’élément essentiel du fonds de commerce, sans lequel il ne peut exister (6). Pour qu’un contrat de location-gérance soit valable, il faut donc une clientèle, puisque l’objet du contrat est un fonds de commerce qui ne peut exister sans clientèle. Dès lors qu’existe une clientèle “réelle et stable” la location-gérance ne saurait être requalifiée en bail commercial, même si l’exploitation a pu être interrompue quelques temps (7).

En revanche, “les juges du fonds peuvent décider qu’une convention qualifiée de location-gérance doit s’analyser en une simple sous-location, dès lors que le propriétaire du fonds de commerce s’est réservé toute l’exploitation prévue à son propre bail” (8). Tel était le cas dans l’affaire commentée. A la date de la conclusion du contrat de location-gérance, aucune clientèle n’existait. C’est le locataire-gérant qui allait créer son propre fonds de commerce. Il s’agissait donc d’une sous-location déguisée. (1)  

 Voir Brault et Barbier, Le Statut des baux commerciaux, Gaz. Pal. éd. 2009, p. 12 ; J.-D. Barbier, Particularités de l’obligation d’immatriculation au registre du commerce en droit spécial des baux commerciaux, AJDI décembre 2005, p. 881. (2)    Cass. com. 16 février 1993, Gaz. Pal. des 2 et 3 juillet 1993, p. 19, note J.-D. Barbier. (3)    Cass. com. 2 juin 1958, JCP 1960 II 11501, note crit. A. Cohen. (4)    Cass. 3e civ. 23 mai 1995, Administrer octobre 1995, p. 22, note J.-D. Barbier (5)    Cass. 3e civ. 9 juillet 2003, Administrer novembre 2003, p. 30, note J.-D. Barbier. (6)    Cass. req. 15 février 1937, Gaz. Pal. 1937, I 789 ; Cass. ass. plén. 24 avril 1970, JCP 1970, G, II, 16489, note B. Boccara. (7)    Cass. com. 16 février 1993, Gaz. Pal. des 2 et 3 juillet 1993, p. 19, note J.-D. Barbier. (8)    Cass. 3e civ. 26 novembre 1997, Administrer mars 1998, p. 33, note J.-D. Barbier.

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