Cass. civ. 5 février 2008 – Fixation du loyer d’un bail commercial faisant suite à un bail dérogatoire.

RÉSUMÉ

Ayant relevé que le bail soumis au statut parce que le locataire a été laissé en possession au terme du bail dérogatoire est un “premier bail”, d’où il se déduit que l’article L.145-33 du Code de commerce a seul vocation à constituer le cadre de la détermination du prix du loyer alors applicable si les parties ne s’accordent pas, que la valeur locative s’impose par application de ce texte, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu le principe de la contradiction, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant relatif à l’existence d’un bail expiré fictif, a légalement justifié sa décision.

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER

Le loyer du bail commercial prenant effet à l’expiration d’un bail dérogatoire doit être fixé à la valeur locative.

Aux termes de l’article L.145-5 du Code de commerce, les parties peuvent, lors de l’entrée du preneur dans les lieux déroger au statut des baux commerciaux et conclure un bail de droit commun, à condition qu’il n’excède pas deux ans. On qualifie un tel bail de bail dérogatoire. En principe, selon ce texte, le bail dérogatoire ne peut pas être renouvelé et le locataire ne peut pas être maintenu en possession. A l’expiration du bail dérogatoire, si le preneur est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail qui est un bail commercial soumis au statut (1). La formation d’un bail commercial résulte du simple maintien dans les lieux du locataire, au-delà du terme convenu, sans opposition du propriétaire. Le locataire acquiert le droit au statut le lendemain de l’expiration du bail dérogatoire (2).

Dans l’affaire commentée, un bail commercial avait pris effet à l’expiration d’un bail dérogatoire. Les parties s’opposaient sur le montant du loyer de ce bail commercial. En effet, le bail commercial prend effet aux mêmes clauses et conditions que celles du bail dérogatoire expiré (3), et les parties peuvent alors demander la fixation judiciaire du loyer de ce nouveau bail (4).

En l’occurrence, le bailleur avait invoqué, devant le juge du fond, la modification des facteurs locaux de commercialité pour obtenir la fixation du loyer du bail commercial à la valeur locative. Cette argumentation était superflue, puisque la Cour de cassation a déjà jugé que le loyer du bail commercial prenant effet après un bail dérogatoire doit correspondre, à défaut d’accord des parties, à la valeur locative (5).

La motivation de la Cour d’appel était toutefois erronée (bien qu’elle soit citée par la Cour de cassation, sans approbation, même si le pourvoi est rejeté). La Cour d’appel avait fixé à juste titre le loyer à la valeur locative, sur le fondement de l’article L.145-33 du Code de commerce. Mais elle déduisait l’application de l’article L.145-33 du Code de commerce du fait que le bail commercial serait “un premier bail”. Or, l’article L.145-33 du Code de commerce ne s’applique pas à un “premier bail”, mais seulement au loyer “des baux renouvelés ou révisés”.

Le loyer d’un “premier bail” n’est pas régi par le statut des baux commerciaux et ne peut résulter que de l’accord des parties. En posant en principe que le loyer du nouveau bail prenant effet au terme d’un bail dérogatoire doit correspondre à la valeur locative, la Cour de cassation, dans ses arrêts précités, n’a pas exposé le fondement de cette solution. S’agit-il d’une jurisprudence praeter legem ? Nous ne sommes pourtant pas en présence d’un vide juridique. Il existe au moins deux textes permettant au juge de fixer le loyer de ce nouveau bail. L’article 1716 du Code civil permet au juge de fixer “le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé”. Le bail commercial qui a pris naissance à la suite d’un bail dérogatoire est bien un “bail verbal dont l’exécution a commencé”.

A défaut de quittances, le texte dispose que le propriétaire “sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts”. Ce texte un peu désuet ne manque pas de charme. Cependant, si le droit commun du Code civil s’applique à toutes les questions non réglées par le statut particulier des baux commerciaux, il reste peu probable que l’article L.145-5 du Code de commerce comporte un renvoi implicite, pour le loyer, à l’article 1716 du Code civil. L’article 1716 est pourtant le seul texte permettant au juge de fixer le loyer d’un “premier bail”. Si l’on ne retient pas ce texte, c’est qu’il ne s’agit pas d’un “premier bail”. L’article L.145-33 du Code de commerce constitue un fondement plus solide. Il faut alors considérer que le bail commercial est bien un renouvellement. Les termes “nouveau bail” ou “renouvellement de bail” sont de fait synonymes (6).

Mais il faut alors, dans la motivation des décisions, exposer les raisons pour lesquelles le loyer du nouveau bail est déplafonné. La motivation sera assez formelle, le déplafonnement étant quasiment de droit, puisque l’on passera d’un bail dérogatoire de deux ans à un bail commercial de neuf ans : la rupture de l’équilibre des conventions et la modification légale des obligations des parties devraient constituer un motif suffisant. Il reste que la Cour de cassation pourrait maintenir sa jurisprudence, sans viser aucun texte.

Le silence de l’article L.145-5, quant au montant du loyer du bail commercial, autorise les juges à faire œuvre créatrice. (1) Cass. 3e civ. 22 janvier 2003, Gaz. Pal. Rec. 2003, p.1781, note J.-D. Barbier. (2) Cass. 3e civ. 20 février 1985, Gaz. Pal. 1985.2.panor, p.274 – Rev. loy. 1985.291 ; Cass. 3e civ. 13 janvier 1988, Gaz. Pal. 1989.1. somm. p. 160, note J.-D. Barbier). Aucune durée de possession n’est imposée. Il suffit qu’elle soit tolérée (J. Derruppé, Rev. dr. immob. 1988, p.511 ; contra : B. Boccara, JCP 1996, éd. G, I, doctr. p.3898. (3) C. Paris 16 janvier 1990, Gaz. Pal. 1990.2. 591 – Loyers et copr. 1990, n°127. 4) Cass. 3e civ. 25 juin 2003, Administrer octobre 2003, p.37, note J.-D. Barbier ; C. Paris 12 janvier 2005, Gaz. Pal. Rec. 2005, p.1304, note Ph.-H. Brault – Administrer juin 2005, p.36, note B. Boccara. (5) Cass. 3e civ. 14 décembre 2005, Administrer février 2006, p. 28, note J-D. Barbier – Loyers et copr. 2006, n°35, note Ph-H Brault – JCP 2006, éd. N, 1073, note J. Lafond – D. 2006, panor. p. 929, note L. Rozès – Gaz. Pal. Rec. 2006, jurisp. p.1920, note Ch-E. Brault. (6) Voir l’article L 145-12, alinéa 3 du Code de commerce et notre note, Administrer, février 2006, p. 30

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