LE PROJET DE CONTRAT DE DYNAMISATION COMMERCIALE

 

Le Sénat a adopté le 14 juin 2018 une proposition de loi « portant pacte national de revitalisation des centres-villes »[1].

La volonté affichée du législateur de lutter contre la désertification des centres-villes n’est pas nouvelle. En 2013 déjà, lors de l’élaboration du projet de loi qui deviendra la loi Pinel du 18 juin 2014, la Ministre du commerce indiquait que la réforme avait pour objectif de « maintenir les commerces indépendants dans les centres-villes »[2]. Or, on sait que loin d’améliorer la situation dans les centres-villes, la plupart des dispositions de la loi Pinel résulte d’amendements dictés par le puissant lobby des centres commerciaux.

La proposition de loi des sénateurs comporte un chapitre intitulé : « Du contrat de dynamisation commerciale ». Ce contrat de dynamisation commerciale ne serait pas un bail, mais un contrat sui generis. On ne parlera pas d’un propriétaire et d’un locataire, mais d’un propriétaire et d’un exploitant. Les dispositions générales du Code civil concernant le contrat de louage lui seraient inapplicables.

Le contrat de dynamisation commerciale proposé comporte essentiellement cinq dispositions.

1° – En premier lieu, il s’agirait d’un contrat à durée indéterminé.

2°- En second lieu, chacune des parties pourrait résilier le contrat, sans motif, à tout moment, moyennant un préavis minimum de six mois, préavis qui pourrait éventuellement être allongé contractuellement.

Ainsi, l’exploitant pourrait en pratique partir à tout moment.

Le propriétaire pourrait également récupérer son local à tout moment, sans avoir à payer une indemnité d’éviction, le texte précisant seulement que, lorsque la résiliation intervient à l’initiative du propriétaire, ce dernier doit rembourser à l’exploitant le montant des travaux et aménagements non encore fiscalement amortis. L’indemnité d’éviction serait donc extrêmement limitée.

3°- En contrepartie de l’usage du local, l’exploitant verserait une redevance égale à un pourcentage de son chiffre d’affaires hors taxes.

Le texte précise qu’il n’y aura pas de minimum garanti et que la redevance égale à un pourcentage du chiffre d’affaires est « exclusive de la perception de tout autre montant et notamment du remboursement de toutes charges et impôts relatifs au local supportés par le propriétaire ».

Ainsi, le propriétaire et l’exploitant seront en quelque sorte associés à la bonne santé du commerce et l’exploitant n’aura rien d’autre à payer au-delà du pourcentage convenu sur son chiffre d’affaires.

Une telle disposition supprimerait tous les litiges relatifs à la fixation d’un loyer. Elle supprimerait également tous les litiges relatifs aux charges et taxes, qui constituent actuellement une part importante du contentieux locatif.

4°- Si le propriétaire vend l’immeuble, l’exploitant bénéficie d’un droit de préemption.

Cette disposition parait assez théorique, dès lors que le propriétaire peut donner congé à tout moment avec un préavis de six mois. Il ne lui sera pas difficile de vendre un local libre.

5°- Enfin, « afin de maintenir l’attractivité commerciale de ces locaux », le propriétaire aura la faculté d’imposer à l’exploitant soit une modification de la surface du local, soit son déplacement dans un autre local.

Cette proposition sera assortie d’un préavis de trois mois. A défaut d’accord de l’exploitant, le contrat sera résilié de plein droit.

En revanche, si l’exploitant accepte la modification de la surface de son local ou son déplacement dans un autre local, le propriétaire doit lui rembourser le montant des travaux et aménagements non encore fiscalement amortis.

Ce contrat paraît relativement simple.

Les dispositions relatives à la modification des surfaces du local ou au déplacement du commerçant dans un autre local ont manifestement étaient prévues en faveur des centres commerciaux. Ce n’est pas en centre-ville que l’on peut déplacer un locataire ou modifier la surface de son local. C’est dans les centres commerciaux que ce type de question se pose à l’occasion de travaux de restructuration ou d’extension.

Un tel contrat a-t-il une chance de voir le jour ?

Il est peu probable que les propriétaires de centres commerciaux acceptent de renoncer au loyer minimum garanti ainsi qu’au remboursement des charges et taxes.

Il est également peu probable que les commerçants acceptent un contrat d’exploitation sur des locaux dont ils pourraient être expulsés à tout moment, sans autre forme de procès, avec un simple préavis de six mois.

Le rapporteur de ce texte indique que ce contrat de dynamisation commerciale « ne se substituerait ni au bail commercial, ni au bail dérogatoire, mais serait une option de plus pour le propriétaire et l’exploitant »[3].

On se souvient qu’en 1967 un contrat concurrent du bail commercial avait déjà été inventé : le contrat de concession immobilière. Michel Debré exposait à l’époque qu’il s’agissait d’établir « un régime à côté de celui de la propriété commerciale » et il ajoutait : « nous n’attaquons pas la propriété commerciale ». Ce projet faisait toutefois suite au rapport Armand-Rueff, qui critiquait vivement le statut des baux commerciaux. Le contrat de concession immobilière ne connut aucun avenir, tandis que le bail commercial accompagna le développement de la distribution avec le succès qu’on lui connaît.

Par Jehan-Denis BARBIER, Docteur en Droit, Avocat, BARBIER ASSOCIES.


[1] Proposition de loi n° 1086 enregistrée à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 15 juin 2018. Numéros Sénat : 460, 548, 549, 500, 543, 526 et T.A. 125.

[2] Voir notre éditorial : Centres-villes ou centres commerciaux ? Gaz. Pal. du 9 août 2014, p. 3.

[3] Voir l’amendement n° 567 au projet de loi « Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique » qui reprend les mêmes dispositions que dans la proposition de la loi « portant pacte national de revitalisation des centres-villes ».

Facebook
Twitter
LinkedIn